MANCO/AIFs : Préparez-vous à la mutation
Le monde des Management Companies & des AIFs luxembourgeois est en pleine mutation. Après quelques années de forte consolidation, le marché, quoique toujours actif, repart sur une dynamique différente. Dans ce contexte, il y a plusieurs éléments intéressants à souligner quant aux perspectives et évolutions de l’industrie à court mais surtout à moyen terme.
La mutation de l’industrie en 4 éléments clés
Un premier élément à souligner est que les coûts de lancement et surtout de maintien d’une société de gestion de fonds d’investissement (GFI), qu’elle soit traditionnelle et/ou alternative, ont cru de façon significative au cours des dernières années. Alors qu’il y a encore quelques années, et plus spécifiquement après la publication de la Circulaire 18/698, on pouvait estimer qu’avec approximativement 1.5 milliards sous gestion, un gestionnaire de fonds d’investissement pouvait être considéré comme viable, ce n’est plus le cas aujourd’hui. Cela s’explique par plusieurs éléments. Premièrement, les exigences et attentes du régulateur ont continué d’évoluer. Cela est vrai pour la partie lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, mais pas seulement. De plus en plus de demandes, de production de rapports et d’analyses sont demandés aux intervenants. Cela entraîne une charge de travail additionnelle et, par conséquent, des coûts et dépenses additionnelles. A cela, il faut ajouter le coût de la vie qui a augmenté de façon importante au Luxembourg. Rappelons, dans ce contexte, l’indexation automatique des salaires et, indirectement des autres frais externalisés (par exemple audit et comptabilité) et des loyers qui sont indexés, alors que les revenus liés aux actifs ne le sont pas. Un troisième élément qui peut expliquer cette évolution est l’augmentation de coût due à la spécialisation accrue des intervenants. Avec l’explosion du nombre de fonds et de sociétés de gestion alternative, les besoins en personnel ont également évolué et le personnel plus qualifié ou en tout cas spécialisé dans des domaines complexes seront plus onéreux.
Un deuxième élément à souligner dans l’évolution du monde des gestionnaires de fonds d’investissement luxembourgeois est la consolidation de l’industrie. Oui, nous avons connu une période de consolidation au cours des dernières années mais nous voyons cette consolidation comme une première vague car cette consolidation s’est surtout réalisée dans le monde des gestionnaires de fonds d’investissement tiers. Ces sociétés offrent ce service à des promoteurs de fonds d’investissement qui ne disposent pas de la ou des licence(s) nécessaire(s) pour gérer ces produits d’investissement, du personnel ou de la volonté d’établir une telle activité localement. Nous anticipons que la prochaine étape de consolidation se fera au niveau des gestionnaires de fonds d’investissement internes. Nous ne faisons par référence ici aux sociétés de gestion majeures qui se sont généralement établies à Luxembourg post-Brexit mais des intervenants de taille plus modeste. De nombreux gérants d’actifs de taille moyenne ont leur propre société de gestion de fonds d’investissement à Luxembourg. Alors que cela avait du sens quand les seuils critiques minimum pour être viable étaient plus bas, aujourd’hui quel est l’intérêt d’avoir une petite équipe de 4-8 personnes qui s’occupent officiellement de la gestion de fonds d’investissement en interne à Luxembourg, alors que la gestion est déléguée à l’étranger et qu’en fait, la plupart des activités sont déléguées. Ne serait-ce pas plus opportun de s’associer avec un gestionnaire de fonds d’investissement tiers qui a les ressources et équipes en place pour offrir un service complet et continu à ces entités. En outre, financièrement, un tel choix a du sens car les frais de licence, les frais informatiques et autres sont implicitement divisés, ce qui permet de créer une situation de win-win. Le gestionnaire étranger n’a pas besoin d’avoir une équipe entière et interne à Luxembourg, il délègue également une partie des risques et pourra faire des économies. Pour le gestionnaire de fonds d’investissement tiers, il bénéficiera d’économies d’échelle. Au final, dans de nombreux car, il s’agit plus de l’implémentation opérationnelle des stratégies d’investissement définies dans des centres de décisions non-luxembourgeois.
Un troisième élément à souligner est la maturité de l’industrie. L’industrie de la gestion d’actifs en général et celle des fonds d’investissement en particulier est une industrie à pleine maturité. Alors qu’il y a quelques dizaines d’année l’accès à l’industrie était limité aux plus fortunés, aujourd’hui, tout le monde peut y avoir accès. En outre, l’accès s’est démocratiser, en autre, grâce à l’avènement des fonds indiciels ou tracker. On peut commencer à investir avec quelques centaines d’euros. Cette évolution a mis une pression importante sur les marges. En plus, alors que la liquidité présente dans les marchés a été fortement soutenue par les banques centrales post-crise de 2008, les hausses de taux récentes ont augmentés de façon significative la valeur de l’argent. Ceci signifie que les intervenants de l’industrie de la gestion d’actifs se battent aujourd’hui pour un gâteau qui ne grandit plus. Si, après un cycle long porteur, les marchés actions souffrent un peu dans les mois ou années à venir, le gâteau pourrait même rétrécir. L’industrie des fonds d’investissement subit une logique similaire. L’industrie des fonds d’investissement a cru de façon significative depuis le début des années 2000 mais aujourd’hui, les fonds d’investissement sont devenus des produits standards. Il en est ainsi, at minima, pour l’industrie des fonds d’investissement traditionnels ou liquides. Pour les stratégies illiquides standards, type private equity, la standardisation pointe également le bout de son nez. Quand nous faisons référence à la standardisation de l’industrie, nous ne faisons pas référence à la standardisation des investissements, mais des profils de rendements offerts. Au final, ce qui le client cherche, ce sont des profils de rendement, le reste est un packaging qui permet au promoteur de vendre son fonds d’investissement. Après la maturité arrive souvent la consolidation ou le déclin.
Un dernier élément que nous désirons mettre en avant est la possibilité de faire gérer un fonds d’investissement luxembourgeois par une entité régulée non-luxembourgeoise. Cette possibilité existe depuis des années mais elle a été relativement peu utilisée dans le passé. Avec la consolidation du marché et son évolution décrite précédemment (coûts en hausse), il est fort probable que de plus en plus d’intervenant fassent appel à cette possibilité, ce qui entrainerait également, indirectement, une consolidation ou en tout cas une réduction de la taille et/ou du nombre de gestionnaires de fonds d’investissement, même si la taille de l’industrie des fonds d’investissement n’est pas directement impactée. C’est juste que de plus en plus de fonds seront gérés depuis l’étranger.
Conclusion
L’industrie des fonds d’investissement a atteint sa pleine maturité. Il y a déjà eu des évolutions et une certaine consolidation, mais nous sommes plus que probablement au début d’une évolution plus significative de l’industrie. Les intervenants les plus agiles et dynamiques devraient pouvoir tirer leur épingle du jeu, mais il y a un risque business ou en tout cas de rentabilité pour les intervenants de taille moyenne ou modeste qui ne se préparent pas à cette évolution important qui, même si nous ne l’appelons par révolution, pourrait être vue comme telle dans dix ans, quand l’industrie aura vécu cette mutation.
Daniel Capocci, CEO, FARAD I.M. dcapocci@FARAD-IM.com